Ecorceur
L'industrie des tanneries - celles de Saulieu étaient les plus connues en Morvan - consommaient des tonnes d'écorces de 'chagnes' (chênes) pour le travail du cuir. Le tannage, c'est-à-dire la transformation de la peau des animaux en cuir nécessite une réaction chimique produite grâce au tanin. Substance végétale contenue en particulier dans l'écorce de chêne et celle du châtaignier, le tanin a pour propriété d'empêcher le pourrissement des peaux. Armé d'un écorçoir à spatule, l'écorceur travaillait surtout de fin avril à début juillet. En effet, si le taillis était coupé en hiver, le bois destiné à être écorcé était quant à lui coupé en mai et juin lors de la montée de sève, ce qui rendait plus facile l'écorçage.
'C'est des métiers de la terre, on est tributaire du temps... Faut pas qu'au 15 avril on ait des gelées, parce que ça vous refoule la sève et après ça ne va jamais bien'. L'ascension de la sève est attentivement observée par le ramasseur. 'C'est comme quand vos taillis prennent leurs feuilles, vraiment la feuille, le plein de la feuille pour ainsi dire, eh bien l'écorce ne va pas bien parce que l'arbre lui-même tire trop la sève en haut. Par contre quand la feuille a son plein, alors à ce moment-là la circulation se refait et on peut écorcer'. Les saisons et leurs corollaires climatiques exercent de subtiles influences sur la vie végétale. Dès lors mobilisées, les connaissances naturalistes alimentent le savoir-faire. 'Au mois de mai, vous avez ce vent du midi qui court, eh bien elle ne va pas, parce que ce vent chaud vous sèche la sève. Et le vent chaud tire tellement la sève !' Celle-ci occupe une place centrale dans le discours et invite à y rapprocher l'image du sang. Sève et sang nourrissent l'idée d'un principe vital. On le chante sous divers modes au printemps. 'Qu'il y a-t-il de plus beau que le mois de mai ? Les arbres feuillent, les fleurs sortent de partout, c'est la vie qui reprend, c'est la vie qui revient. La nature, les bêtes, les hommes, c'est la même chose !' Un autre témoignage atteste des correspondances entre sève et sang : 'Mon voisin pleume les arbres. Il faut les saigner ! Saigner les arbres, c'est leur enlever l'écorce pour que la résine, la sève sorte'.
Le travail de l'écorceur reprenait aussi en août puisque c'est à cette période de l'année que le tanin atteint des qualités exceptionnelles. Les écorces de chênes et des châtaigniers sont considérées comme les meilleurs produits.
L'écorce destinée aux tanneries était ficelée en bottes de 18 à 20 kilos. Un écorceur de la région de La Roche-en-Brenil se rappelle que les chargements d'écorces se faisaient au cours de la journée et qu'il fallait partir à trois ou quatre heures le matin suivant pour livrer le chargement transporté par chariot. Le chargement une fois pesé, les bottes étaient mises à sécher. Dans les années 1930, un écorceur à lui seul pouvait récolter plus de 15 tonnes d'écorces en une campagne.
Après avoir servi au tannage, l'écorce était souvent récupérée par ceux qu'on appelle les 'façonneurs d'écorce'. Ces derniers façonnaient avec l'écorce récupérée des sortes de galettes circulaires très comprimées. Après séchage, ces galettes servaient de combustibles que les 'façonneurs' vendaient ou utilisaient dans leurs foyers. Bien que les tanneries de Saulieu ferment définitivement vers 1950, les écorceurs ne cessent pas pour autant leur activité. Les chargements d'écorces sont conduits par chariots à la gare de La Roche-en-Brenil d'où ils sont transportés vers d'autres tanneries.
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En Morvan, l'écorçage de la bourdaine semblait dans certains cas affaire de spécialiste. 'A Dun-les-Places, du temps de ma jeunesse, il n'y avait qu'une seule personne qui savait préparer la bourdaine, qui connaissait la manière de faire. C'était une laveuse de l'Huis-Bonin. Elle allait dans les bois, elle préparait la bourdaine, la séchait. Ensuite, elle la mettait en petites bottes et les femmes de Dun venaient la chercher chez elle'. Lors de la montée de la sève, l'écorce épaissie se détache aisément. Elle est alors incisée avec un couteau et décollée de la branche sous forme de ruban en spirale. En revanche, ce travail s'avère plus difficile et moins rentable pendant l'hiver en raison de la finesse de l'écorce. Celle-ci se 'plume' avec une lame, ou le manche d'une cuillère à café aiguisée sur le côté, 'tout comme si on épluchait'. Certains la récoltent indifféremment à la mauvaise ou la belle saison. 'Ils la plumaient. Ca partait tout seul au moment de la sève. En hiver, on plume la bourdaine. En été, on la râpe'.
Vendue à des laboratoires pharmaceutiques, la vente d'écorce de Bourdaine permettait quelques revenus d'appoint jusqu'en 1960 environ. 'C'était surtout les cheminots du tacot qui ramassaient de la Bourdaine, le long du chemin de fer.'... 'La Bourdaine était récoltée par les enfants et les jeunes gens pour se faire un peu d'argent. Elle était expédiée dans des sacs de toile, cousus à la main, quand ils étaient pleins. On faisait deux anses pour les transporter. Le sac faisait environ 2 m sur 1. Le chargement pesait environ 800 kg et était conduit par des chariots à boeufs ou à chevaux jusqu'à la messagerie à Montsauche. Avant la guerre, il partait par le tacot de Montsauche. La dernière expédition date de 1955 vers Dijon. Toutes les transactions se faisaient par courrier avec les laboratoires'.
D'autres écorces étaient recueillies pour des industries chimiques, comme la 'verne' ou l'aulne pour la fabrication de peintures. 'Ca faisait un petit rapport', dit-on. 'Les vieux du temps plumaient l'écorce de Verne, aux Buteaux. Ils en faisaient des paquets et ils descendaient ça avec une voiture à âne, pour aller les vendre'. Seuls, aujourd'hui, quelques producteurs de plantes médicinales ont perpétué la tradition.
De l'écorce, les hommes confectionnaient aussi certains objets domestiques, comme les tabatières en cerisier et des portières de lanières en bourdaine.