Savoir commun et savoir local

Le savoir commun

Dans chacune des régions de Bourgogne des savoirs identiques, qui constituent «un fonds commun thérapeutique», ont été recueillis. Ils s’appuient sur des plantes couramment répandues, cultivées ou sauvages, diffusées dans toute la Bourgogne. Leurs utilisations traduisent ainsi des préoccupations thérapeutiques partagées par l’ensemble de la population. D’une façon générale, ce savoir commun repose sur les espèces couramment employées dans la thérapeutique populaire. Il s’agit de plantes «pour digérer»: Grande Camomille, Menthe, Aurône mâle et Millepertuis; «dépuratives»: Pissenlit et Bardane; «diurétiques»: Cerise; «sudorifiques»: Bourrache officinale; «pour les rhumatismes»: Cassis, Frêne et Chou; «pour la gorge»: Ronce; «adoucissantes»: Guimauve officinale; «pour les verrues»: Grande Chélidoine; «pour les coupures, les plaies et les panaris»: Lys blanc... Ce savoir commun rappelle ici les soucis de la médecine ancienne dont l’attention est essentiellement portée sur la sphère digestive. L’emploi de plantes digestives, dépuratives et diurétiques a pour but de faciliter le transit de la nourriture et de nettoyer le corps. Cet ensemble de pratiques n’est donc pas sans rappeler la théorie des humeurs qui vise à chasser du corps toutes formes d’impuretés. La même idée sous-tend encore l’emploi des sudorifiques. Dans le cas de rougeole, de fièvre ou de chaud et froid, la sudation permet en effet «d’expulser le mal du corps».
D’autres savoir-faire liés aux rhumatismes et aux maux de gorge traduisent des pathologies fréquentes dans lesquelles les conditions climatiques jouent un rôle non négligeable. Les autres plantes agissent sur les atteintes externes du corps.
Quelles relations ce fonds commun entretient-il avec l’environnement naturel? Parmi les plantes citées ci-dessus seuls le Millepertuis, le Frêne, la Bardane, le Tilleul, la Ronce et la Chélidoine croissent à l’état sauvage. Les autres espèces sont cultivées dans les jardins, plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs d’origine étrangère. Ainsi, le Lys blanc provient d’Orient. Cultivée au Moyen Âge par les arabes du sud de l’Espagne, la Bourrache officinale est vraisemblablement issue du Bassin méditerranéen occidental.
La majorité des espèces constituant le savoir médicinal commun en Bourgogne, voire en France au vu des travaux qui y sont menés, occuperait une place prépondérante de longue date. En effet, établi sous Charlemagne, le Capitulaire de Villis dresse une liste de plantes médicinales à promouvoir dans les jardins: Camomille, Menthe, Aurône mâle, Cerisier, Ronce, Guimauve, Lys blanc, Chou et même Bardane, apparemment cultivée à l’époque. Déjà recommandées il y a plus d’un millénaire, ces médicinales indiquent de toute évidence une persistance d’usages bravant l’usure du temps et la fugacité des modes médicales.

LES MÉDICINALES STRICTES
Absinthe: digestive et vermifuge (liqueur de feuilles)
Arnica des montagnes: coups et hématomes (teinture de fleurs dans l’alcool)
Aurône mâle ou Arquebuse: en usage interne comme digestive et dissipant les maux de ventre, en friction sur les coups (macération de feuilles dans l’alcool)
Bourrache officinale: fébrifuge, sudorique, soins de la rougeole, du rhume, de la bronchite (infusion de fleurs)
Camomille ou Grande Camomille: calmante, apéritive, digestive, maux d’estomac (infusion de fleurs); maux d’yeux (bain oculaire); pour donner un éclat blond aux cheveux (shampooing)
Germandrée petit-chêne: maux d’estomac, ulcères d’estomac et pour redonner des forces (infusion de sommités fleuries); fortiante, apéritive et digestive (vin)
Guimauve officinale: adoucissante, expectorante, sudorifique, laxative, maux d’intestin, maux de gorge, bronches (infusion de fleurs ou décoction de racines); pour faire les dents des bébés (racine à mâcher); maux d’yeux (bain oculaire); maux blancs et furoncles (cataplasme); abcès dentaires (gargarisme)
Mélisse officinale: digestive, circulation du sang, douleurs menstruelles (infusion de sommités fleuries)
Menthe: digestive (infusion de feuilles)
Réglisse: mal de dents des bébés et des gencives (racines en friction); mal de gorge (racines en décoction)
Sauge officinale: coliques des bébés, sudorifique (infusion de sommités fleuries ou feuilles); pour redonner des forces (vin)
Tanaisie commune digestive (liqueur de feuilles)

LES MÉDICINALES ET AROMATIQUES
Anis vert: maux d’estomac, aérophagie, mauvaise haleine (infusion de graines)
Cerfeuil: digestive (alimentation); pour faire passer le lait en fin d’allaitement (cataplasme de feuilles, incorporé à de la graisse blanche ou du saindoux)
Fenouil: digestive (infusion de graines)
Laurier sauce: maladies de cœur (très légère infusion de feuilles); rhumatismes (macération de fruits dans l’huile)
Livèche officinale: dépurative (décoction ou macération de feuilles dans du vin blanc)
Persil: coups, piqûres d’insecte (jus de feuilles en friction); mal des transports (collier); pour tarir le lait (alimentation ou cataplasme)
Thym: indigestion, maux d’estomac, foie, maux de gorge, enrouement, rhume, rhume de cerveau, bronchite, fièvre (infusion de sommités fleuries); rhume, toux (inhalation); piqûres d’insecte (décoction)
Romarin: digestive (infusion de sommités fleuries ou feuilles)

LES MÉDICINALES ET POTAGÈRES
Ail: mal ou rage de dent (application d’une gousse); mal d’oreille, otite (gousse chaude dans l’oreille); cors aux pieds (cataplasme); oxyures, vers (consommation à jeun, décoction dans du lait, en collier); fièvre infantile (en cataplasme sur la plante des pieds); circulation du sang (infusion); tension (macération dans l’alcool); dépuratif (alimentation)
Carotte: diarrhée des bébés (eau de cuisson)
Cassis: diurétique, digestive, circulatoire, maux d’estomac, maux de tête, douleurs, rhumatismes, goutte (infusion de feuilles)
Céleri: rhumatismes (infusion de feuilles et branches); engelures (décoction de racines en bain)
Chou: abcès, maux blancs, cicatrisation, douleurs, rhumatismes, douleurs articulaires, arthrose, maux musculaires, mal aux jambes, entorses (cataplasme de feuilles)
Courge, potiron: vermifuge (consommation de graines sèches)
Fraisier: soins du visage (cataplasme de fruits)
Framboisier: maux de gorge (infusion ou gargarisme de feuilles)
Oignon: coupures (cataplasme de pelures); piqûre d’insecte, panaris, épines (cataplasme d’écailles); engelures (friction avec l’oignon haché); maux de gorge (consommation d’oignon cuit au four)
Oseille: piqûres d’insecte (cataplasme de feuilles)
Pomme de terre: brûlures, furoncles (cataplasme du tubercule)
Radis noir: toux (sirop)

LES MÉDICINALES, PROTECTRICES ET ORNEMENTALES
Buis: brûlures (onguent de feuilles); ulcères (décoction de feuilles en application externe); entorses (emplâtre chaud); fièvre, grippe (infusion très légère de feuilles, une cuillère de feuilles par tasse, car plante toxique)
Busserole: diurétique pour les rhumatismes (infusion de feuilles)
Centaurée des montagnes: maux et inammation (infusion en bain oculaire)
Géranium cultivé: plaies, coupures (cataplasme de feuilles)
Iris germanique: cors aux pieds (cataplasme du bulbe)
Joubarbe des toits: verrues (suc de la feuille); cors aux pieds, plaies (cataplasme de feuilles); brûlure (onguent)
Lys blanc: plaies (macération alcoolique de pétales sans pollen); brûlures (macération huileuse)
Pyrèthre officinal: poux (application de poudre de fleurs séchées)
Rose: brûlures, maux blancs, furoncles (macérations alcoolique de pétales); soin de la peau, maux d’yeux (application de l’infusion de pétales)
Rose trémière: maux blancs, furoncles (compresse d’infusion de fleurs ou cataplasme)
Souci des jardins: digestive (infusion de fleurs); blessures, coups, varices, phlébites, cicatrices (pommade)

Similitudes botaniques et similitudes d’usages
Les disparités floristiques bourguignonnes induisent des savoir-faire mettant en œuvre des stratégies inventives. À défaut de l’Arnica des montagnes qui croît dans le Morvan, on emploie alors sur la Côte viticole une espèce fort similaire, l’Inule des montagnes. Ainsi le critère de similitude s’imposerait-il comme logique opératoire, laissant croire aux mêmes propriétés thérapeutiques. De même si, à la Saint-Roch, notamment en année sèche, la Pulicaire commune se fait rare, les habitants cueilleront la Pulicaire dysentérique, fort ressemblante. Cette dernière assurera un rôle de protection identique. Afin d’échapper aux aléas du ramassage, certaines personnes préfèrent cultiver dans leur jardin des espèces domestiques, comparables aux plantes sauvages réputées pour leurs vertus. La Centaurée des montagnes se substitue alors au Bleuet des champs, le Sédum remarquable au Sédum reprise des bords de chemin. Intuition ou sagacité, par le jeu des substitutions botaniques, l’homme s’affranchit de quelques contraintes écologiques.

Le savoir local spécialisé
Quels sont les usages typiquement locaux? La répartition des espèces sauvages est étroitement dépendante des caractéristiques écologiques: édaphiques (substrat calcaire ou siliceux, à tendance sèche ou hydromorphe), climatiques (domaines atlantique, continental et subméditerranéen), topographiques (influences montagnardes). Ainsi, certaines friches calcaires comme en Châtillonnais, Vézelien ou sur la Côte viticole sont-elles parsemées de Genévrier, connu pour ses vertus digestives et toniques. Également calcicole, l’Épine-Vinette est utilisée sur la Côte dans le traitement de l’enrouement. Dressées comme des sentinelles sur quelques pelouses calcaires, les Gentianes jaunes sont surtout recherchées dans le Châtillonnais pour leurs vertus apéritives, dépuratives et fortifiantes. Dans ce même terroir, on récolte également l’Aspérule odorante pour la fabrication familiale d’un vin apéritif et digestif, ainsi que le Nerprun purgatif dont l’emploi s’étend jusqu’en Auxois. Dans l’Auxerrois, les feuilles de la Listère à feuilles sauvages, Orchidée fleurissant les prés et bois humides, sont en macération un remède des coupures. Autres espèces des friches calcaires, l’Origan, «pour la circulation» (Côte), le Marrube, «pour les bronches» (Vézelien) sont autant d’exemples soulignant la connaissance de certaines plantes locales. Les tisanes et vins de Callune, Bruyère commune sur les sols siliceux, sont signalés sur la frange Morvan-Auxois, pour apaiser les «douleurs» ou rhumatismes. Quelques plantes acidophiles du Morvan y sont le support de pratiques spéciques. La Myrtille soigne les affections de la gorge et les coliques infantiles. L’écorce de Bourdaine, arbuste familier des terrains humides, est laxative et purgative. La Montie des fontaines y est appréciée pour ses vertus digestives et laxatives. Citons encore l’Arnica des montagnes, réputé en Morvan pour ses propriétés résolutives. En Bresse, les feuilles d’Agripaume cardiaque soignent les coupures.

Attention, plantes protégées!
En raison de leur rareté ou vulnérabilité, plusieurs espèces végétales sont protégées par la loi en Bourgogne. Parmi celles-ci se comptent certaines plantes qui étaient traditionnellement ramassées pour leurs propriétés médicinales ou, à défaut, des espèces voisines. Aujourd’hui, leur cueillette n’est plus permise: Pulicaire commune (Pulicaria vulgaris, Gaertn.), Droséra ou Rossolis à feuilles intermédiaires (Drosera intermedia, Hayne), Droséra ou Rossolis à feuilles rondes (Drosera rotundifolia, L.) par arrêté du 20 janvier 1982; Asplenium de Billot (Asplenium billotii, F. W. Schultz), Prêle d’hiver (Equisetum hiemale, L.), Prêle des bois (Equisetum sylvaticum, L.), Prêle panachée (Equisetum variegatum, Schleicher), Sceau de Salomon verticillé (Polygonum verticillatum, [L. ] All), Pied de chat (Antennaria dioica, [L. ] Gaernt), Vulnéraire des montagnes (Anthyllis montana, L.), Arnica des montagnes (Arnica montana, L.), Armoise blanche (Artemisia alba, Turra), Armoise champêtre (Artemisia campestris, L.), Inule des montagnes (Inula montana, L.), Canneberge (Vaccinium oxycoccos, L.) par arrêté du 27 mars 1982.

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