Cueillettes estivales


Bétoine officinale et Millepertuis.

Dès les beaux jours, jusqu’au cœur de l’été seront cueillies les médicinales sauvages ou cultivées, remèdes précieux tout au long de l’année: Aigremoine eupatoire, Arnica des montagnes, Bleuet des champs, Bouillon blanc, Camomille, Coquelicot, Fumeterre officinal, Gentiane jaune, Germandrée petit-chêne, Guimauve officinale, Mauves, Mélisse officinale, Menthes, Millepertuis, Pensée sauvage, Petite Centaurée, Reine des prés, Sureau noir,... Certaines cueilleuses respectent diverses règles. Par exemple, il convient de «cueillir l’Arnica en période sèche, l’aprèsmidi, lorsqu’il n’y a plus de rosée, que la fleur est bien épanouie».
Aujourd’hui l’influence certaine de l’ensoleillement ou de la lunaison sur le végétal a été démontrée par quelques-uns, mettant en évidence la teneur croissante de principes actifs. En revanche l’homme d’hier, dépourvu de tout instrument de mesure, si ce n’est que la propre sensibilité de son corps, a prêté une attention extrême à ces phénomènes naturels. La ritualisation des pratiques témoigne de l’aspiration humaine à partager cette inexorable respiration de l’univers dont le souffle balaie l’humanité comme par enchantement. C’est alors que le merveilleux décelé dans la nature inspire une relation symbolique à la plante. Et sur le monde végétal, en prise directe avec l’ordre cosmique, se cristallisent des conceptions sur la vie, son rythme et son organisation. Le système culturel intègre la course des astres et les cycles des saisons.
Tout au long de la «bonne saison», des repères temporels balisent le calendrier de ramassage et socialisent ainsi une nature dont le cours indomptable doit être canalisé. Procédés mnémotechniques, les proverbes gardent la mémoire des hommes et les tiennent en alerte:
«À la Sainte-Madeleine, (22 juillet) les Noix sont pleines,
À la Saint-Laurent, (10 août) on peut regarder dedans»
«À la Sainte-Anne, (26 juillet)
Cueille ton Frâne,
Ton Chou d’âne
Et ta Bardane».
Qu’il s’agisse de rappeler la date de cueillette des Noix vertes pour la fabrication des liqueurs ou des vins, ou encore celle de quelques médicinales, le calendrier liturgique constitue la matrice de nombreuses pratiques. «La Verveine officinale se cueille entre les deux Notre-Dame. » Toutefois, là aussi l’Église semble avoir intégré des coutumes vraisemblablement antérieures à la christianisation.


Sureau noir

Au cours de l’été, plusieurs espèces sont ramassées à des fins domestiques ou technologiques.
Pour faire la lessive ou «la buée» sont employées les cendres de Charme, de Hêtre ou encore de Chêne, parfois même les fleurs de Lavande «pour parfumer le linge». Les feuilles de Lierre grimpant ou de Noyer ravivaient la teinture noire du linge, tout comme la Saponaire officinale: «C’était l’herbe à savon. Ça ravivait les couleurs. Ça lavait les lainages foncés, les choses fragiles». D’autres procédés étaient répandus. «Il fallait récolter les racines d’Iris quand la fleur est passée, que la sève est redescendue. Puis, on les lavait, coupait en petites rondelles, on y passait une petite ficelle. Ça servait pour faire la buée, la lessive. On mettait le linge dans une grande toile, avec les cendres. Sur les cendres, on mettait le chapelet d’Iris. Quand l’eau était tiède, on arrosait les cendres. Ça sentait bon! »
Les fleurs séchées d’Aspérule odorante, de Lavande, de Mélisse officinale, d’Œillet et de Rose parfumaient le linge soigneusement plié dans les armoires. De petits sacs de fleurs de Sureau, ainsi que de feuilles de Tabac y étaient posés afin d’en éloigner les insectes.
Le lit était également entouré de pratiques préventives pour se protéger des insectes. «On mettait des feuilles de Noyer pour éloigner les puces, sous le lit, ailleurs, là où il y en avait. » Dans la Plaine de Saône était utilisé le Sureau hièble, plante toxique: «Le Hièble, ça pousse dans les bons champs. Ça sent fort. Les vieux mettaient ça... dans les matelas... avec les feuilles de Turquie, les feuilles de Maïs». En effet, dans certaines régions de culture comme la Bresse, «la paillasse était en feuilles de Maïs, posées sur le sommier. Dans le temps, il n’y avait que de ça! On accrochait le Maïs sous le toit par quatre. Ça s’entortillait comme ça, les feuilles faisaient des ressorts et ça ne s’aplatissait pas. On secouait la paillasse tous les jours pour que ça ne se tasse pas». Ailleurs, on cite les paillasses de balle de Seigle ou les «couterottes» en balle d’Avoine. D’autres préfèrent la Fougère, le plus souvent la Fougère mâle, «pour les paillasses des bébés» parce que «c’est sain».
Des bouquets de Menthe étaient accrochés dans les greniers pour éloigner les insectes et les souris. Des feuilles de Tanaisie commune, de Noyer, de Sureau hièble ou bien des bouquets de Pyrèthre étaient placés dans les nids de poules contre les poux et les puces.


Millepertuis

Les herbes de la Saint-Jean
Si la mémoire s’est ternie au fil des générations, certaines femmes âgées se souviennent encore des cueillettes de la nuit de la Saint-Jean. «Je partais avec ma grand-mère, à quatre heures du matin, dans la rosée, en sabots... On cueillait de l’Armoise, le Tabac Saint-Jean, du Sureau,... » Dans le Bazois, également «le Sureau se cueillait à la Saint-Jean. On prenait les fleurs de Sureau à la rosée, on faisait sécher les fleurs pour les tisanes pour la gorge». À défaut de la Sainte-Madeleine, les Noix vertes sont parfois ramassées le jour de la Saint-Jean, «quand elles sont pleines, c’est-à-dire en lait». Divers informateurs associent la puissance heureuse du lever du jour à celle de la rosée au caractère magique réputé. «Le Sureau se cueillait à la Saint-Jean, on prenait les fleurs à la rosée. » La rosée tient une place privilégiée dans les représentations populaires de cette période de l’année. «On dit le jour de la Saint-Jean que la Fougère pleure, car il y a une goutte de rosée qui pend en dessous. » Parfois, la plante ne représente que le support des forces de la Saint-Jean: «Recueillir la rosée du matin de la Saint-Jean sur une plante le matin, la mettre sur des verrues. Mon mari l’a expérimenté! »
D’après certains, les pratiques de la Saint-Jean, le 24 juin, pourraient correspondre à un glissement progressif de la fête du Solstice le 21 juin qui fut christianisée comme beaucoup de manifestations profanes. Cependant l’ambiguïté sur l’origine de ce rite de cueillette demeure.
Par ailleurs, la Saint-Jean constituait un temps social fort. «Les Bordes, c’était le feu le dimanche après le jour de la Saint-Jean. On alimentait le feu avec un char de Balais, de Genêt, ou de la râpée, ce qu’on coupait dans les haies. Dès la tombée de la nuit, ça rigolait dans les champs, un petit peu éloignés des maisons! » Temps social fort, ces rassemblements villageois s’étalaient. «À la bonne saison, pendant tout l’été, les jeunes se réunissaient dehors, dans une belle cour de ferme bien propre, le dimanche. Certains amenaient des violons. On dansait tout l’aprèsmidi, tous les dimanches! »

L’été est aussi la saison des petits fruits grappillés ici et là, telle la cueillette des Myrtilles, notamment dans le Morvan, sur le Haut-Folin et récemment réinvestie en «Fête de la Myrtille». Dans les prairies tourbeuses de Montsauche, en Morvan, la Canneberge était convoitée. «Les gamins se battaient pour en ramasser les fruits! On voyait beaucoup de fleurs, mais pas beaucoup de fruits. Cela a disparu, car ce n’était plus fauché et ça a été drainé. »

L’Herbe de la Saint-Roch
La fête de la Saint-Roch, patron du bétail, a lieu le lendemain de l’Ascension. L’Herbe de Saint-Roch, la Pulicaire commune, ou bien à défaut la Pulicaire dysentérique, est cueillie le matin de la Saint-Roch. On rapporte, à l’image de saint Roch, que «cette herbe protégeait les familles de la peste dans l’ancien temps». Les tiges fleuries sont bénies par le prêtre lors de la célébration de la messe, toujours en vigueur dans le village de Saint-Loup de la Salle en Saône-et-Loire. Précédant la bénédiction des fleurs, le discours du prêtre met en avant la valeur symbolique du végétal: «... Aussi, nous te demandons de tout cœur de bénir généreusement toutes ces plantes et tous ces fruits, et d’ajouter à leur valeur naturelle qu’elles tirent de la création, la grâce de cette nouvelle bénédiction. Alors utilisée en ton nom pour les hommes et les animaux, ces plantes et ces fruits les protégeront de toutes sortes de maux et de maladies. Nous te le demandons par le Christ notre Seigneur... ». Après l’office, les herbes sont suspendues dans les étables, les poulaillers, les bâtiments domestiques, parfois même dans la maison, «pour se garder des malheurs et des maladies».
À l’image de nombreuses fêtes, issues d’un fonds de rites païens, cette manifestation est investie de croyances anciennes. Du religieux au profane, la distance est ténue. «Certains païens tiennent à avoir, le jour de la Saint-Roch, cette herbe miraculeuse, soi-disant, dans leur foyer. » La plante assurerait un rôle bénéque dans le domaine du biologique, les maladies, et dans celui de l’irrationnel, le malheur. Mais ces catégories, rupture d’harmonie, ne forment parfois qu’une aux yeux de certains.

Les bouquets de la Fête-Dieu
Sans appartenir au cycle agraire de mai, la Fête-Dieu était également l’occasion de processions. Elles faisaient halte aux pieds des croix balisant l’espace communal, et que les fidèles décoraient de fleurs bénies de Rose, d’Œillet ou de Pâquerette. «Du temps de maman, le jour de la Fête-Dieu, on emmenait des bouquets à l’église. On les faisait bénir. Quand il y avait un gros orage, maman, elle le faisait brûler dans la cheminée. Le bouquet béni du jour de la Fête-Dieu, pour éloigner l’orage, c’était des Roses,... il y avait aussi des Œillets. » À Bazoches, en Morvan, les bouquets composés le plus souvent d’Œillet de poète et de quelques branches d’Aubépine préservent les maisons et les locaux d’exploitation contre les orages, pluies violentes et grêle. Dès que le danger se fait sentir, la maîtresse de maison doit jeter dans le feu une fleur du bouquet. Il y a encore peu, les bénédictions de plantes étaient fort courantes. Le calendrier des pratiques liées au végétal se dessine à travers cette trame tissée de valeurs profanes et religieuses.
Souvent présentées comme «décoratives», ces diverses plantes sont fortement investies d’un rôle protecteur. Deux espèces dotées d’épines, l’Aubépine dédiée à la Sainte-Vierge et la Rose, rappellent la Passion du Christ. La Grande Marguerite, à dominante blanche comme l’Aubépine, paraît aussi chargée d’une connotation religieuse. Elle est utilisée pour décorer l’autel des églises ou lors de cérémonies particulières. «Aux Processions, les petites filles avaient une corbeille carrée ou rectangulaire en osier, qui était préparée à l’école. Les mamans la garnissaient à l’intérieur d’un tissu avec de la broderie. On y mettait des Marguerites. »
Là encore, le calendrier religieux réglait les pratiques de cueillette. «Les vieux disaient de ramasser le Su (fleurs de Sureau) à la Fête-Dieu. »

Les bouquets de fenaisons et de moissons
Les travaux de récolte de foins ou de céréales donnaient lieu le plus souvent à une collation ou une fête, rassemblant les ouvriers et à laquelle contribuait le patron. En guise de symbole, «à la fin des moissons... on faisait une fête, la Paulée. À la dernière charretée de foin était accroché un bouquet de fleurs des champs».

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